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54. Célestin, le ramasseur de bon matin

Qui est cet homme au long manteau coloré portant sur son dos un sac qui semble flotter.

Qui est cet homme si grand, si fin, si léger, qui au vent semble se balancer ?

C’est Célestin, le ramasseur de chagrins.

Chaque jour, de bon matin, il s’en va sur les chemins. A grandes enjambées, il part ramasser les petits soucis, les petits riens, les gros chagrins. Et quand son sac est bien rempli, il rentre enfin chez lui, fier d’avoir débarrassé la terre de toutes ses misères.

 Célestin le ramasseur de bon matin.png

Depuis des années, dans sa grande maison, Célestin emplie les sacs, du sol au plafond.

Il ne sait pas pourquoi, mais un nuage gris s’installe petit à petit tout au fond de lui. Il se dit que ça va passer, et il reprend son bâton de bois, et avec la pointe, il pique les mouchoirs à pois, à rayures, à fleurs, à carreaux, de toutes les couleurs. Il pique les mouchoirs abandonnés, encore tout mouillés.

Mais de jour en jour, le nuage gris est plus gros, plus lourd. A chacun de ses pas, Célestin est plus courbé. Un matin, en ramassant un chagrin à pois, il se met lui aussi à pleurer, pleurer sans pouvoir s’arrêter.

Et cette pluie de larmes, Célestin la laisse couler. Il l'enferme dans des mouchoirs à pois ou à rayure, à carreaux, de fleurs ou de trous.

Rien à faire, rien ne l’arrête, Célestin pleure.

Une fois chez lui, il réfléchit.

Un jour, une nuit… il tourne en rond.

Il ouvre un sac. Les yeux encore mouillés, il commence à déplier les petits soucis, les petits riens, les gros chagrins.

Il ne faut pas les garder, il doit s’en débarrasser.

Mais où les mettre ? Pas dans la terre, ils pourraient repousser. Ah ça non, pas question.


Au petit matin, en levant les yeux par la fenêtre, il comprend enfin.

Il prend une immense bassine de bois, et vide ses sacs à l’intérieur. Dans la bassine, les mouchoirs ont mauvaise mine. Il la remplit d’eau et souffle des bulles de savon à l’intérieur.

Dans le grand champ devant sa maison, sur des cordes à linge qui disparaissent à l’horizon, Célestin, tout enjoué, étend les mouchoirs de couleurs, qui goutte à goutte, s’égouttent.

Quand il a terminé, il s’assoit le cœur léger. C’est alors qu’un vent frais se met à souffler. Si fort, que les mouchoirs un à un, se décrochent et s’envolent dans une ronde folle. Il souffle encore ce vent polisson, si bien que les mouchoirs à pois, à rayure, à fleurs, à trous, à carreaux, de toutes les couleurs, se transforment en papillons.

Et Célestin repart sur les chemins, ramasser les petits riens...

 

Conte de Sylvie Poillevé – Illustration de Mayalen Goust dans l’édition des Albums du Père Castor (un beau livre pour enfant je trouve). 


16/06/2020
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