049. Noce de granit
Samedi dernier, j’étais invitée par la mairie aux noces de granit d’un couple de mon quartier. Quatre-vingt dixième anniversaire de mariage, ça se fête non ?
Un couple pacifique et tranquille, un mari attentionné, une douce épouse. Un exemple admirable et admiré de tous.
Pour l’occasion, cent-vingt-trois journalistes se sont déplacés. Tout compte fait, il y en avait plus que d’invités.
- Quel est le secret de votre bonheur ? Questionna celui de Gala.
- Et bien, cela remonte à notre voyage de noce, explique le mari. Nous randonnions sur les chemins de Saint Jacques, et après une semaine de marche, nos pieds menaçaient de faire grève. Nous avons décidé de traverser le plateau de l’Aubrac à dos d’âne.
Pour bien comprendre, entrez avec moi dans l’Aubrac :
Vent froid et neige vous y accueillent en plein mois de mai. Jusqu’ici, les oiseaux accompagnaient notre marche de leur chant encourageant. Là, ils se taisent. Seuls les rapaces rodent encore. Dans ce désert de buissons secs, on s’attend à voir débarquer un cow-boy à la scène deux de l’acte quatre, celle après le grand massacre. Plat comme un plateau, parsemé d’arbres morts et d’ossements d’animaux sauvages, sinistre, désolé.
Nous n’avions pas encore parcouru une grande distance que l’âne de ma femme trébuche sur un petit rocher.
- Première fois, dit ma femme sur un ton tranquille.
Et elle fait se relever l’âne. Nous reprenons notre trot. L’âne trébuche à nouveau, sur une branche morte cette fois.
- Seconde fois, prévient ma femme tout aussi placide.
Elle fait à nouveau se relever l’âne. Et nous repartons.
Nous n’avions pas fait la moitié de cent mètres que l’âne tombe pour la troisième fois. Tranquillement, ma femme arrache une branche sur le seul arbre de ce désert, elle le fouette jusqu’au sang, et l’âne rend son dernier souffle.
Je n’ai pas pu tolérer sa façon de traiter cette pauvre bête, et je me suis fâché. Quand soudain, elle m’a regardé et m’a dit d’une voix tranquille :
- Première fois.
Depuis ce jour, nous vivons heureux.