la-tartine-qui-conte

la-tartine-qui-conte

024. L'arbre aux deux fruits

J'ai planté un conte en terre, il a éclos et poussé comme un Baobab. 

C'était dans un pays aride. L'arbre était prodigieux. Sur la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés et le ciel. Personne ne savait son âge.

Les hommes se réfugiaient sous son ombre, les femmes s’asseyaient sur son tronc, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits, pas même les oiseaux ni les insectes.

Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés le long de ses deux branches maîtresses. Mais la moitié de ses fruits était empoisonné. Or tous, bons ou mauvais, avaient la même apparence appétissante.

 

Des deux branches ouvertes en haut du tronc, l'une portait la mort, l'autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait.

Alors on regardait, mais on ne touchait pas.

 

Sans titre.png
Vint un été trop chaud, puis un automne sec et un hiver glacial.

La famine envahit le pays.

 

Seul sur la plaine, l'arbre demeurait immuable, tel un vieux père rescapé des bourrasques : aucun de ses fruits n'avait péri.
Les gens s'approchèrent de lui, indécis et craintifs. Et s'ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles ? Ils risquaient de tomber foudroyés. Et s’ils n’y goutaient pas ? Ils mourraient de faim.

 

Un homme osa soudain s'avancer. Sous la branche de droite, il cueillit un fruit, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous à sa suite se bousculèrent et se gorgèrent des fruits sains de la branche de droite. A peine cueillis, les fruits repoussaient aussitôt, parmi les verdures bruissantes.

Les hommes s'en réjouirent durant huit jours de fête, riant de leurs effrois passés. Ils savaient désormais où étaient les fruits empoisonnés de l’arbre : sur la branche de gauche.

Et puis bientôt, une rancune monta en eux.

À cause de la peur, ils avaient failli mourir de faim.

Comment un tel arbre pouvait-il encore subsister de nos jours ?

La vengeance sur le visage, ils décidèrent de couper la partie gauche de l’arbre au ras du tronc.

 

Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière.

L'arbre amputé de sa moitié empoisonnée n'offrait plus au grand soleil qu'un feuillage racorni.

Son écorce avait noirci.

Les oiseaux l'avaient fui.

Il était mort.

 

Conte d’Henri Gougaud dans  la revue « Clé » rubrique « Chronique » - Illustration : L’arbre de vie d’après Klimt trouvée sur http://www.zaubette.fr


18/04/2016
2 Poster un commentaire