la-tartine-qui-conte

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031. La Noiraude

Jamais il n’y a de vache dans les contes.
J’ai voulu rétablir cette injustice. Je suis allée rencontrer la Noiraude. Vous savez celle toute noire avec un œil au beurre blanc et des yeux bleus aux longs cils charmeurs.

 Noiraude.pngJe lui ai demandé pourquoi elle n’allait jamais se balader dans des champs de fleurs qui volent.
On ne la voit plus que sur les boites de camembert.

Oh là, qu’est-ce que je n’avais pas dit ! Ça lui a foutu le bourdon ! Ses idées sont devenues aussi noires que son torse et ça a fait tourner son lait.

Alors j’ai fait venir pour elle les meilleurs vétérinaires du pays.

Le premier l’a fait s’allonger sur un divan et elle a pu dire tout ce qu’elle avait sur la patate.

- C’est vrai que quand j’étais génisse, s’est souvenue la Noiraude, nous allions en troupeau voir passer les trains. Aujourd’hui ils vont trop vite. Et la fin des fins, c’est qu’on veut me faire grossir. Pour le pot au feu. Moi je rêve d’avoir des formes moins rondes, quand il faudrait que je pèse cinq cent kilos pour gagner les concours agricole.

Le docteur lui a prescrit une visite dans une boucherie.

- Vous verrez, a-t-il conclu, on vous y voit en grand poster.

La noiraude était dépitée. Elle, végétarienne, on l’envoyait dans une boucherie !

Heureusement, j’ai réussie à la persuader de voir un autre vétérinaire.

- Ce n’est plus possible, lui a-t-elle dit, les mouches, oui, les mouches, ce n’est plus possible. Je n’ai plus un moment de répit. Je suis sur les nerfs en permanence. Bien sûre j’ai ma queue pour les chasser. Mais celles qui bourdonnent juste devant mes oreilles ?

Le second vétérinaire l’a parfumée à l’insecticide. Bonjour l’odeur. Et il lui a prescrit des papiers tue-mouche à accrocher à ses cornes. Ainsi qu’une corde à attacher au bout de sa queue.
La noiraude, après s’être fouetté la gueule avec sa queue trop longue, est allée voir un troisième vétérinaire.

Celui-ci a posé son pronostic : la situation est grave. Il a alors pris les grands moyens et lui a prescrit… un voyage aux Indes.

Elle n’a compris qu’une fois à la sortie de l’aéroport, quand elle a vu ses congénères s’assoir au bon milieu de la rue sans qu’on les traite de grosse vache. D’autant que l’herbe y était plus sèche, elle a pu faire son régime et reprendre du poil de la bête.

Aujourd’hui, elle a retrouvé le sommeil en comptant les moutons pour s’endormir, pas besoin d’aller les déranger dans leur bergerie, ils dorment dehors, à ses côtés. C’est aussi là qu’elle admire la voie lactée. On lui en avait souvent parlée. On lui avait dit que c’était comme une grande cascade de lait qui tombe du ciel. En fait, c’est encore plus beau. Ça ressemble à des milliers d’yeux de vaches qui scintillent et qui la regardent.

Et surtout, surtout, elle y a rencontré un taureau, un vrai taureau costaud. Un avec l’anneau doré dans ses naseaux. Et lui, il l’aime telle qu’elle est, avec ses côtes saillantes, elle ne compte plus pour du beurre.

Dés qu’elle l’a vu son cœur a frémi. Il lui a offert de petits bouquets de luzerne. Ils se sont mis les cornes l’une dans l’autre et quelques temps plus tard, elle a accouché d’un ravissant petit veau tout blanc avec un œil au beurre noir.

Seul hic, il était allergique au lait de vache, elle a été obligée de lui donner du lait en poudre.

 

Conte plagié chez Jean-Louis Fournier – L’illustration aussi.

 



29/04/2016
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