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056. Les caprices de Salomé

Les caprices de Salomé

 

Que mon conte soit beau, qu’il entonne le chant du merle noir, vous savez, cet oiseau au chant fluté qu’on entend dès le mois de janvier. Comme j’aimerais moi aussi m’égosiller toujours, dans l’abondance du printemps comme dans la pénurie de l’hiver, sans cesse fredonner mon hymne réjoui. Et pourtant…Mais écoutez plutôt. Mon histoire commence. Avez-vous déjà rencontré Miss Monde 2032 ? Déesse au regard noir, visage pâle enchanteur, traits grâcieux, envoûtants, il n’est créature plus fascinante sur la terre. Oui je dis vrai, car parfois, la réalité dépasse la fiction, et j’en sais quelque-chose, moi qui suis son dévoué couturier et styliste. Mais au prix de combien d’artifices ?Elle vit dans un palais faramineux, dont le rez-de-chaussée compte sept pièces : salon de beauté, de maquillage et manucure, parfumerie, hammam, salon de coiffure et de bronzage.Le deuxième étage a tout juste suffi à ranger ses vêtements, et le troisième ses chaussures.Et, tenez-vous bien, elle a recruté pas moins de treize coiffeurs à temps plein, ce qui semble un peu excessif étant donné que son mari est chauve comme un œuf. Mais il n’en fallait pas moins pour satisfaire sa fantaisie : si lundi elle a commandé un brushing, mardi elle préfère un dégradé, à midi elle se décide pour une frange et le soir elle opte pour une teinture pourpre. Je suis sous le charme et elle le sait, c’est bien pour cela qu’elle me tient la dragée si haute. Alors sa robe d’été pouvait bien demander une année entière de travail obstiné de ma part.Cette splendeur s’appelle Salomé et je travaille nuit et jour pour lui créer les tenues les plus éblouissantes.   Ce matin avant l’aube, je m’installe dans le ‘’jardin des lotions’’ à l’est du château, entre la fontaine de parfum et le puit des baumes. On entend l’eau roucouler à mes côtés. La pipistrelle agrippée à la potence du puit vient de terminer sa ronde de nuit. Les étoiles commencent à s’éteindre une à une. A l’horizon, une lueur jaune et rouge flambe ardemment et baigne le monde d’une couleur de miel.J’en suis aux dernières finitions de la commande de Salomé.- Je voudrais une robe qui s’appelle ''Nuage'', m’avait-elle dit. Qu’elle en ait le volume et la légèreté.Couleur ivoire, en soies superposées et bouffonnées, de fines perles Stravinski y reflètent les caprices des saisons. Bustier cœur, traîne de flanelle douce et duveteuse finement brodée d’or, tunique turquoise en lin. Tâche délicate, je suis en train de froncer la soie au niveau de la taille, lorsque, surgie de nulle part, une araignée tombe juste au-dessus de mon index. En temps normal, je l’aurais chassée d’un mouvement de main… mais là, suspendue dans le vide, elle rebondit, élastique, remonte aussitôt et me fixe du regard, comme si elle voulait me dire quelque chose.-      Je t’écoute chère compagne. Quelle est ta missive ?Elle fait un bond en ma direction, et se met à tracer un lien entre le haut de ma chaise et la rigole de la fontaine à mes côtés. Je la scrute. Elle descend vers le bassin, fait demi-tour vers son point de départ, de biais, et tisse ensuite trois rayons au centre de ce cadre. Ses pattes s’agitent aussi vite que les aiguilles de ma machine à coudre, elle multiplie ses faisceaux.Voilà, l’armature de sa toile est prête. Elle revient vers moi, capte mon regard comme pour s’assurer que je lui prête toujours mon attention et se met à former des spirales, de plus en plus petites, centrées. Brusquement, elle s’arrête, secoue sa toile, comme quand je teste la solidité de mes points, et elle attend. Nul besoin de dé à coudre ni de ciseau, Dame araignée a tout en poche. Ni ourlet, ni point zig-zag, son savoir-faire est solide, souple. Inutile de suivre quelque formation. Autodidacte, elle dessine, tisse, tricotte plus aisément que le professionnel que je suis.Ni collerette, ni galon, ni ruban, son chef-d’œuvre est orné de simplicité.-      Que me veux-tu Dame araignée ? Est-ce pour me décourager que tu me défies de tes talents ?Elle se tait. Elle guette. Immobile. Harassé par l’ampleur de ma tâche et impatient d’en finir, je me remets à l’ouvrage.Salomé promet d’être radieuse. ‘’Oups’’ je viens de me piquer le doigt. Sursaut…… je lève les yeux.Un lys aux reflets orangés vient d’éclore sous mon regard ébahi.Dans un farniente provoquant, il n’a eu qu’à se laisser faire. Se dorer au soleil, en voler les couleurs ardentes. Nonchalamment s’abreuver de pluie tombée du ciel et s'abandonner dans l'air frais de l'aurore.Paresseuse, la fleur s'habille lentement.Soudain le soleil levant couronne ses pétales blancs de perles de rosée.- Merveille.Même le plus petit brin d’herbe en est orné, et jusqu’au pauvre chardon encore tout défraîchi. Lui aussi, quittant ses bigoudis se dresse vers le ciel. Eveillé.Au milieu de ce champs de fleurs sauvages, le lys n’a pas peiné, il n’a pas filé. Il resplendit. Eclatant, grandiose.- Heureusement, Salomé a raté ce spectacle.Je soupire, soulagé. Cette injustice lui aurait sauté aux yeux.Bien sûr, dans toute sa majesté, Salomé jamais n’égalera la tunique digne et pure de cette haute tige droite. Jamais sa fontaine de parfum n’exhalera un baume si doux. - Je veux un diadème de rosée.Je bondis, me retourne aussi sec. Salomé vient de surgir de derrière la fontaine. Son ordre n’admet aucune paperade.- Mais… il n’est pas au p... pouvoir des mortels de f.. fabriquer un tel bijou. Je bégaye, tremblant.- J’exige un diadème de rosée pour demain à l’aube, rétorque-t-elle, piquée au vif par mon affront. Sans quoi mon mari te fera trancher la tête. Ce soir-là, je fais mes adieux à ma famille. Quand le jour se lève, Salomé, sur le perron de son palais de marbre, réclame son bien, suivie au pas de son époux.- Je satisferai les désirs de Salomé.Mes mains derrière le dos, ma déclaration est assurée.-      Qu’elle recueille elle-même quelques gouttes de rosée et je lui enfilerai sur le diadème dont elle rêve.Caressant l’espoir d’être couronnée comme le lys, Salomé descend les marches, daigne se baisser pour saisir l’évanescent. Mais dès qu’elle la touche, la perle s’évanouit dans sa main. Elle parcourt le jardin, se penche sur chaque brin d’herbe, s’efforce de recueillir son joyau… à peine effleuré, il s’enfuit.Chaque goutte signe l’impossible défi lancé à son ouvrier.- Je ne peux cueillir la rosée, reconnait-elle, confuse.- Car c’est impossible, rétorque son mari. Tu as encore bien failli nous emberlificoter. Est-ce toi qu’il faut décapiter ?!- Non.Pardi, me voilà en train de défendre mon bourreau ?Et je dévoile ce que je cachais derrière mon dos : entre deux tiges de lys sauvage que j’ai pris soin de nouer, une toile d’araignée, la seule qui ait su garder les perles intactes.

Diadème de rosée.png

Sur la paume de ma main, Dame araignée, triomphante, me cligne de l’œil.

Je couronne Salomé de sa broderie… sur le fil.

 

 

Conte d’O. Thomas, écrit pour un concours d'écriture organisé par la médiathèque de Senlis en janvier 2023, inspiré de la Bonne Nouvelle de Mathieu, et d’un conte de Chine - Règlement du concours : placer les mots suivants : pipistrelle, lueur, oups, bigoudi, emberlificoter, paperade. Ce dernier mot n'est pas dans le dictionnaire, à nous de lui inventer un sens qui coule de source dans le texte - Illustration : « Perle de rosée sur toile d’araignée » de Wows trouvée sur http://planetemerline.kazeo.com


06/01/2023
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