la-tartine-qui-conte

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051. Le premier miroir

Au temps passé, écoulé, oublié, le vannier songeait à feu son père en tressant un panier de bambou.

-          Ma mère l’aimait plus fort qu’un troupeau d’éléphants, ma femme l’a toujours détesté autant qu’une guerrière en furie, ma sœur l’admire  encore telle une star qui ne passe pas. Mais qui était mon père finalement ? Et moi qui suis-je ?

Et la mélancolie le gagnait.

Un jour de marché, il écoula son lot de paniers plus rapidement qu’à l’ordinaire. Il se promenait un peu désœuvré parmi les inventaires, quand il remarqua un marchand chinois qui offrait souvent des objets étranges.

Il farfouilla dans un coffre et trouve un objet rond et plat recouvert d’une étoffe de soie. Le marchand le plaça entre les mains du vannier, et avec précaution, il fit glisser l’étoffe. Le vannier se pencha sur la surface polie et brillante, et il reconnut dedans… l’image de son père, tel qu’il avait été au temps de sa jeunesse. Bouleversé, il s’écria :

-          Cet objet est magique ?

-          Oui, dit le marchand. On appelle cela un miroir, et sa valeur est grande.

La fièvre avait saisi le vannier

-          Je t’offre tout ce que je possède, dit-il. Je veux emporter chez moi le visage de mon père.

 

Dès qu’il fut rentré, le vannier alla dans son grenier et cacha le ''mmiroir'' dans un coffre. Les jours suivants, il s’éclipsait de temps en temps, montait au grenier, retirait le miroir magique du coffre, et il demeurait là, un long moment à contempler l’image vénérée. Et il était heureux.

 Premier miroir.png

Sa femme ne tarda pas à remarquer son étrange conduite. Un après-midi, alors qu’il abandonnait un panier à moitié tressé, elle le suivit.

 

Elle le vit monter au grenier, fouiller dans un coffre, en retirer un objet inconnu, le regarder longuement en affichant un air mystérieux de plaisir. Il recouvrit ensuite l’objet d’une étoffe avec des gestes amoureux.

Intriguée, elle attendit son départ, ouvrit à son tour le coffre, en en faisant glisser l’étoffe, elle découvrit :

-          Une femme !

Furieuse, elle descendit et apostropha son mari :

-          Ainsi, tu me  trompes en allant contempler une femme dix fois par jour dans ton grenier ?!

-          Mais non, rétorqua le vannier, je n’ai pas voulu t’en parler parce que tu n’appréciais pas mon père, mais c’est son image que je vais voir, et cela apaise mon cœur.

-          Menteur, vociféra la femme. J’ai vu ce que j’ai vu…

La dispute s’envenimait, les cris arrivèrent aux voisins qui firent venir une moniale pour trancher l’affaire. Le couple, avide, attendait son arbitrage.

-          C’est une nonne, dit-elle.

 

La femme fut rassurée.

Mais la nonne se ravisa.

Elle cassa le miroir et le jeta dans un lac.

Et c'est depuis que dans les eaux tranquilles, le saule se contemple en se caressant, et que se reflètent les cieux.

 

Conte zen d’Henri Brunel – Illustration Autoportrait de Pascal Bonafoux trouvée sur http://www.editionsdianedeselliers.com


26/05/2020
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