47. Les deux loups affamés
Les Deux Loups
Et pourquoi les contes appartiendraient-ils tous au passé ? Du temps présent ne peut-il naître une histoire de sagesse ?
Confiné depuis bientôt deux mois, Narcisse aurait bien fait un Skype avec le Bon Dieu en personne pour lui demander des comptes. Mais il a beau chercher… rien à faire, il ne trouve pas son identifiant.
Il se rabat sur… un vieil ami Cherokee. .
- Allo, salut vieux Sioux. J'ai besoin de toi. Cinquante-cinq jours de confinement et j’n’y tiens plus, j'étouffe. J’ai tapé mon fils, incendié mon frère, et j’aurais pu tuer ma femme. J’ai aussi passé trois jours affalé devant Netflix en engloutissant onze pizzas et six tablettes de chocolat à la pâte d'amande. Ah oui, j’oubliais, j’ai encore dévalisé les dernières réserves du Super U
- Peau blanche, lui répond solennellement le Cherokee, tel un miroir, ce confinement reflète en toi la part noire de ton âme...
Mais où est ta lumière ?
N’as-tu pas aussi cousu des masques à ton voisin, pris des nouvelles de ta sœur, raconté un conte féerique à ton fils et cuisiné le plat préféré de ta femme ?
- Tu dis vrai, vieux Sioux… Mais à quoi bon ? J'ai beau lutter contre ma torpeur, chaque soir, j'en sors vaincu.
- Tu t'épuises en vain Peau blanche.
- Et je ne t'ai pas dit le pire : mon ami avait besoin d'écoute... et moi au lieu d'écouter s'épancher son coeur, je n'ai rien trouvé de mieux que de lui donner mille conseils. Je ne soupçonnais pas toute cette crasse en moi.
- Ou bien tu la fuyais ? Quitte à te prendre pour un ange ?
Peau blanche, mon fiston, deux loups luttent depuis la nuit des temps pour régner en toi. L'un est noir, l'autre blanc. Le premier montre des dents et après avoir avalé sa proie sans remord, s’affale sur le sofa de sa tanière et la digère trois jours durant. Il est insatiable.
L’autre est blanc, il est doux et dévoué, il cajole ses petits et pourrait se priver de repas à en mourir pour nourrir ses congénères. Quand une meute ennemie veut l'attaquer, en paix, il passe au milieu d'eux. Le loup belliqueux le dit faible et mou. Pourtant, il en faut bien de la force pour dire non à l’envie de se battre. Le loup blanc est plus discret, mais tout aussi insatiable que le noir
Silencieux, Narcisse accueille.
Il soupire...
et risque une dernière question.
- Et à la fin, lequel des deux loups gagne cette lutte éternelle ?
- Celui que tu nourris.