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028. Nasrédine et l’âne

Qui est cet enfant, assis sur un tapis à l’ombre d’un palmier ? Approchez-vous de lui, vous verrez qu'il boit du lait de chamelle saupoudré de cannelle. Et vous reconnaitrez Nasrédine.

Son père l’appelle.

-          Nasrédine, va sortir l’âne de l’étable, nous allons au marché.

L’enfant enfile ses babouches et conduit l’animal jusqu’à son père. Ils attachent sur sa croupe un panier rempli de dattes. Le père s’installe sur l’âne et Nasrédine marche derrière.

Le chemin est encore boueux de la dernière pluie, et quand ils croisent un vizir sur son magnifique cheval arabe, celui-ci déclare aux gens de sa suite :

-          Regardez qui s’amène. Un homme qui se prélasse sur son âne et fait patauger son propre fils dans la boue. Ce père est indigne, ne trouvez-vous pas ?

Nasrédine change de couleur et son cœur se remplit de honte.

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Huit jours plus tard, Nasrédine tond la laine des moutons, en s’appliquant à ne pas écorcher leur peau rose et délicate. Il ramasse les flocons de laine dans un sac volumineux, quand son père l’appelle.

-          Nasrédine, va sortir l’âne de l’étable, nous allons porter la laine chez les tisserands.

Cette fois, c’est Nasrédine qui prend le bas de sa robe avec ses dents et s’installe sur le baudet. Son père marche à côté de lui. Au bruit des sabots, les femmes qui lavent leur linge dans la rivière se retournent. La plus vieille grommelle :

-           Regardez comment marche le monde aujourd’hui ! Cet enfant n’a aucun respect envers ses parents. Il se prélasse sur la bête, alors que son père, le pauvre vieux, est obligé de marcher à pied ! Les pères n’ont plus d’autorité de nos jours. 

Nasrédine rougit sous l’offense.

 

Huit jours plus tard, dans la basse-cour, il poursuit une poule qui bat des ailes et lui échappe en caquetant. Il la saisit par le cou et l’enferme dans une cage en osier. Cette fois, le fils demande à son père de monter avec lui sur l’âne, avec la cage remplie de poules sur leur genou.

Sur la place du marché, installés à une terrasse, quelques vieillards boivent des citronnades glacées. Le gloussement des poules attirent leur attention.

-          Regardez ce gros homme et son fils qui martyrisent leur bête. Le pauvre âne, son ventre traîne presque à terre. Ils vont faire mourir leur monture d’épuisement par cette canicule. Que les gens peuvent être méchants avec les animaux.

Nasrédine ne sait plus où se mettre et gigote dans tous les sens.

 

La semaine suivante, il tire un énorme sac de pastèques jusqu’à la bête, et déclare :

-          L’âne est fatigué. Nous pourrions marcher derrière lui, pendant qu’il porte les pastèques.

L’âne trottine d’un bon pas, réjoui d’être si peu chargé, et les deux hommes peinent à le suivre.

Un groupe d’enfants jouent sur le chemin. En les voyant passer, ils ricanent.

-          Pourquoi ces deux-là préfèrent se fatiguer plutôt que de fatiguer leur âne ? Demande l’un d’eux.

-          Ce sont des imbéciles, rétorque l'autre.

Nasrédine sent son cœur tomber jusqu’à ses pieds. Il devient rouge comme un poivron et il s’enfuit.

 

Quand arrive le jour du marché, il conduit l’âne à son père et s’exclame :  

-          Père j’ai trouvé la solution pour aller au marché.

Nous porterons l’âne.

Le père sourit.

-          Tu perds ton bon sens mon fils.

Jusqu’ici, je t’ai laissé agir selon ta fantaisie.

Mais aujourd’hui, tu dois comprendre ton erreur.

-          Quelle erreur ? J’ai écouté tout le monde.

-          C’est justement là ton erreur, les moqueries guident ton cœur. Tu n'observes que l’image que tu renvoies à ton voisin. Tu oublies d’être sage, mon fis.

Nasrédine rentre en lui-même.

-         C'est vrai... je m'observe à l’envers, comme dans un miroir.

Mais la petite lumière de mon cœur n'est pas encore éteinte. 

Père, souffle dessus et viens la raviver.  

 

Conte d’Odile Weulersse plagié dans le Petit album du père Castor – Illustration aussi.

 



29/04/2016
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