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« Prenez un pinceau et dessinez une cage. Dans la cage, un oiseau avec des plumes de toutes les couleurs. Quand l’oiseau est vivant et se met à chanter, effacez un à un les barreaux de la cage ».

Ces consignes de Prévert sont tombées dans l'oreille d'un peintre, et il les a suivies.

Oh ce n'était pas un peintre de grande renommée, non, plutôt de ces petits artistes qui peinent à gagner leur pain, vous savez, ces paresseux dont on dit qu'ils ne servent à rien. 

Ce jour-là, il a sorti sa palette colorée, son pinceau le plus fin, et il a peint un oiseau tout gris au bec jaune et rouge.

Et au lieu d’effacer les barreaux, il en a écarté deux... ...et puis il s'est éclipsé.

L’oiseau a tenté une sortie discrète. A pas de loup, le peintre s’en est approché. L’oiseau s’est envolé au loin. Le peintre a couru et l'a poursuivi.

Il l’avait perdu.

Trois mois plus tard…

Assi sur un tronc d’arbre, l'artiste siffle un air maussade, cherchant des champignons pour son dîner. Il repense à ces derniers mois, pendant lesquels il n'a pas peint une seule toile. Quand soudain, il est interrompu par un oiseau au bec jaune et rouge qui vient se poser sur son épaule. Son oiseau.

Dans le creux de l’oreille, il lui chante une histoire.

Mais écoutez plutôt sa mélodie...

« Sur les cornes d’un buffle, je me suis installé. Tu sais, c’était ce jour où j’ai fugué de ta cage. J’avais beaucoup voyagé, et quand j’ai vu sa peau grise à la surface de l’eau, j’ai tout de suite su qu’il m’invitait.

Regarde-le, dans l’étang bleu, il se repose et bulle. Sa tête dépasse à peine de l’eau et il souffle en ronflant. Je l’écoute.

Il me dit sa lassitude de tirer la charrette. Il rêve que son maître l’attèle à un joug. Grâce à ce morceau de bois, un autre buffle se mettrait à son rythme, et alors, son fardeau serait allégé, sa charge douce.

Et surtout, il aurait une compagnie, quelqu’un avec qui partager.

Mais l’homme n’en a pas voulu ainsi. 

- Buffle, au travail, lui a-t-il dit.

Le buffle est sorti tout brillant, l’eau ruisselait sur son corps, et il a suivi l’homme jusqu’au champ. Je papillonnais à ses côtés.

Tracteur docile, il tirait sa charrette, et l’homme semait. Quand le buffle déviait du sillon, il recevait un coup de fouet. Tracteur docile, il tirait encore. Et moi, je lui sifflais mon refrain joyeux.

Quand toutes les graines ont été semées, le soir est tombé, et le buffle est retourné se reposer dans son étang, moi sur ses cornes.

Temps de l’attente…

Quand est arrivée la saison des moissons, l’homme est revenu et il a appelé

- Buffle au travail.

Le buffle est retourné au champ. Il a tiré, et l’homme récolté le riz, et le buffle a tiré. Et moi, je continuais de raconter ma vie d’oiseau dans l’oreille du buffle.

Ma maison d’oiseau et son tapis de plumes.

Ma vue panoramique sur la terre colorée.

Comment nous apprenons à nos petits à voler, les lâchant en plein air, les rattrapant quand ils s’inquiètent.

Et de temps en temps, je ramassais un grain de riz.

Quand l’homme s’en est aperçu, il a crié :

- Recrache ça, paresseux.

Et avec son bâton, il a voulu me chasser.

- Crois-tu qu’il n’ai rien fait pour mériter son repas, a rétorqué le buffle ?

L’homme a arrêté son geste.

- Crois-tu que je mettrais autant de cœur à l’ouvrage si l’oiseau chômeur ne chantait pas dans mon oreille ?

L’homme a hésité. Il a penché sa tête à droite, il a penché sa tête à gauche. Et il a approuvé. »

- Mon histoire est terminée, siffle l’oiseau chanteur au peintre qui l'a créé.

Et il le regarde droit dans les yeux, comme s’il attendait quelque chose. Le peintre lui offre son plus beau champignon et les deux artistes se quittent. L'un en chantant son créateur de lui avoir donné une si belle voix, l'autre revigoré par son oiseau, l'œuvre de ses mains, et prêt à peindre de nouvelles toiles.

* Joug : pièce de bois permettant d'atteler une paire d'animaux de trait afin qu'ils marchent au même rythme et que leur charge soit allégée.