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055. Le carambolier

 Le Carambolier

 

Les nouvelles du vent rapportent cette histoire terrible. 

A la mort de leur père, deux frères se partagent l'héritage. A l'aîné revient la maison et les rizières, les buffles et les domestiques. Au second, un petit enclos où est planté une misérable paillote…  et un carambolier.

- Mais, objecte le cadet, ma femme et moi ne pouvons nous nourrir uniquement de caramboles. Sans terre, comment cultiver du riz ?

- Qui travaille mange, riposte simplement l'aîné.

 

Le cadet et son épouse quittent la spacieuse maison familiale, ses jarres pleines d'eau fraîche, ses troupeaux et ses vertes rizières, pour s'établir dans ce petit enclos caillouteux.

- Comment allons-nous faire pour vivre ici ? Se demande la femme.

- Je louerai mes bras pour les travaux des champs pendant que tu cultiveras la terre. Et ce carambolier. N'est-ce pas un miracle qu'il pousse dans un sol si ingrat ?

Ils se mettent à l'ouvrage. Elle arrache les mauvaises herbes et va chercher de l'eau au loin pour l'arroser, guettant le moment où les caramboles vont mûrir. Quand apparaît derrière chaque feuille une grosse baie juteuse à souhait, le couple rêve déjà d’y goûter et de les vendre au marché.

Mais soudain, au dessus de l'arbre fruité, le ciel s'obscurcit des grandes ailes noires d'un aigle.

L'oiseau, d’une taille immense, vient se régaler des premières caramboles mûres.

Le premier jour, le couple respecte son repas, mais l'oiseau ne quitte pas l'arbre fruitier.

- Malheur à nous, se lamente l'épouse, nous comptions sur ces fruits et voilà que l’oiseau ravage tout. Nous allons connaître la famine.

L'aigle entend ses lamentations. Il vient se poser devant le couple, se penche et réplique :Le carambolier.jpg

 

- Des caramboles je mange                         De l’or je rends,

Munissez-vous d’un sac de trois kilos          Et suivez-moi pour en chercher.

La femme se met à coudre un sac selon ces mesures. Alors l'oiseau descend de l’arbre pour inviter l’époux à prendre place sur son dos avec le sac.

Agrippé au cou de l'aigle, le jeune homme survole plaine, fleuve, montagne enrubannée de nuages. Puis, au-dessus d'une mer vaste à en donner le vertige, l'oiseau descend, avant de foncer comme l'éclair sur un îlot désert.

- Remplis ton sac, dit l'aigle en l'invitant à prendre pied.

Ici, pas de rochers couverts d'algues, frangés d'écume, mais d'innombrables lingots d'or, diamants et pierres précieuses à profusion, brasillant au soleil, et tant de perles qu'au cœur de la nuit qui vient de tomber, la lune rend l'île phosphorescente.

Éberlué, le jeune homme remplit son sac de trois kilos d'or et de pierres précieuses. L'aigle le reprend sur son dos, le ramène chez lui, au pied du carambolier, où sa femme n'a cessé de le guetter. Ensemble, ils se réjouissent d'être à nouveau réunis, et depuis ce jour, le couple vit dans une demeure luxueuse, et ils viennent en aide à leurs voisins dans le besoin.

 

Pour l'inauguration de leur nouvelle maison , le cadet invite son frère aîné à un festin.
- Soit, dit l'aîné après s'être fait prié, je viendrai à une condition. Que tu tapisses le chemin de nattes fleuries jusque chez toi.

Quelle n’est pas sa surprise, le lendemain, en mettant le nez dehors. Depuis le seuil de sa porte se déroule un tapis coloré aux parfums de délice.

Au cours du repas, l'aîné n'en tenant plus de curiosité, demande :

- D'où te vient toute cette fortune ?

Et le cadet lui raconte l’histoire de l'aigle à l'île d'or.

L’aîné propose d’échanger sa fortune contre la paillote et le carambolier juteux. Le cadet, heureux de retrouver la maison familiale, obtempère.

 

Un jour, les caramboles mûres, l'aigle géant revient manger le fruit savoureux :

- Des caramboles je mange                         De l’or je rends, chante-t-il encore.

Munissez-vous d’un sac de trois kilos          Et suivez-moi pour en chercher.

Le lendemain, quatre sacs de trois kilos sont prêts.

Quand l'aigle invite l'aîné à monter sur son dos, la femme y grimpe aussi, et sur l’île, ils n'attendent pas les recommandations de l'aigle, se précipitent pour remplir leurs sacs... mais aussi leurs poches, leur chemise, leur bas de pantalon. N'en ayant pas assez, ils remplissent aussi leurs narines et leurs oreilles. 

- Vraiment, mon petit frère n'est qu'un abruti de n'avoir pris que trois kilos.

Puis, pleins de regrets à l'idée de tout ce qu'ils laissent sur l'île, ils reprennent place sur le dos de l'aigle. L’oiseau prend lourdement son envol…

Mais que se passe-t-il ? Au gré des vents, il perd de l'altitude et semble planer sans avancer.

- Jetez un peu de votre or, leur crie l'aigle essoufflé, je ne peux plus vous porter.

- Jeter de l'or, sursaute l'aîné scandalisé.

- Monsieur l'aigle, encore un petit effort, fait son épouse. Nous serons bientôt riches... Haaaaaa...

Sur le point de piquer du nez dans la mer, l'oiseau secoue ses ailes immenses.

Désarçonné, le couple aux sacs, aux poches, jambes de pantalons, narines et oreilles bourrés d'or et de diamants, tombe dans la mer, qui les engloutit.

 

Conte de la grand-mère vietnamienne d'Yveline Féray - Illustration sur pngtree. 


08/03/2017
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