la-tartine-qui-conte

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003. Le croqueur de ciel

Il y a très longtemps, un arbre a poussé au milieu du jardin de l’homme. Un arbre immense, dont les branches étaient taillées de telle sorte qu’il était aussi facile d’y grimper que sur une échelle. Et quand il arrivait tout en haut, l’homme pouvait cueillir un morceau de ciel et croquer dedans.

 

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Je peux vous dire qu’il y allait à pleine dent. Quelle saveur !

Plus douce que le miel, plus onctueuse que la crème fraîche 60% de matière grasse, et plus parfumée qu’une rose à la menthe.

Et s’il y allait la nuit, l’homme goûtait les étoiles, croustillantes comme une chips, pétillantes comme du champagne. « A se taper le cul par terre », comme on disait à l’époque. Si bien qu’après en avoir grignoté un bon morceau, il était comme ivre. Pas saoul, non, juste avant, quand la parole se libère.

Et le pompon, c’est qu’il pouvait se servir à volonté sans jamais en manquer.

Mais c’était justement là le problème.

Oh, il n’en aurait pas fait une indigestion, les cieux sont plus légers qu’un nuage. Mais il se servait des parts de plus en plus grandes, et il jetait le surplus par terre, si bien qu’on retrouvait des morceaux de ciel partout sur les chemins.

Alors, l’homme a décidé de les cacher. Il a creusé un trou dans la montagne où il a glissé les morceaux de ciel. Mais bientôt, la montagne a débordé. Ça a fait une source, et puis un lac. Et bientôt un océan.

A force de croquer le ciel à volonté, rassasié, l’homme en avait oublié sa faim.

 

 

Alors le maître les cieux a tenu un colloque ultra secret.

Il a rassemblé ses anges, et ensemble, ils ont décidé de cacher l’accès à cet arbre par une porte, qu’ils ont fermée à clef. Un serrurier céleste a alors formé un trousseau de clefs dans un métal doré. Il en a sculpté de toutes sortes : la clef des champs et la clef de sol, la clef de voute, la clef des songes et la clef anglaise. La liste de toutes les clefs qui donnent accès aux cieux ne tiendrait pas dans celivre. Toujours est-il qu’ils ont trouvé une cachette pour que l’homme ne puisse pas démasquer sa clef si facilement.

 

 

Un jour, un enfant a eu vent de cette histoire à couper le souffle. Il s’est mis en tête d’y passer sa vie s’il le fallait, mais de trouver sa clef.

Alors il a cherché.

- Pour accéder aux cieux, il faut le mériter, s’est-il dit.

Lui qui était gourmand, il a cuisiné toutes sortes de mets, qu’il s’interdisait de goûter. Il a concocté une sauce au chocolat, qui le narguait de son parfum, il aurait voulu bondir sur le provocant caramel au beurre salé. Mais son désir de goûter les cieux était plus fort, et il tenait bon.

Et tout au bout de cette épreuve, il attendait sa récompense, un volcan dans l’âme.

Mais il ne trouva pas de clef.

 

Quand il fut en âge de voter, il se chargea d’une épreuve encore plus grande. Il devrait écouter dans son intégralité le discours de Monsieur Languedebois, un homme politique renommé.

Au bout de cette épreuve dont il s’était lui-même chargé, il récolta… un sérieux mal de crâne, mais toujours pas de clefs.

 

Quelques printemps plus tard, il est devenu escaladeur professionnel. Sa clef ne pouvait se trouver que sur la cime de la plus haute montagne. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Il l’a escaladée. Il en a atteint le sommet. Mais il n’y avait pas de clef.

Alors il s’est reconverti en archéologue. Elle pouvait être enfouie profondément sous terre, qui sait ?

Il a creusé. Il s’est rapproché des entrailles de la terre, au fond des océans. Pas de clef non plus.

Il a repris son chemin, soucieux, le front penché sur la terre, les sourcils plissés.

 

Quand il est tombé nez-à-nez avec un vieillard au regard fou. Quelque chose brillait dans ses yeux, et le vieillard ne semblait pas savoir parler.

Il ouvrit la bouche, et d’un air débile, en pointant son gosier du doigt, il fit un son de voix

- Hein ? L’air de dire « Que vois-tu ? »

- Euh, des dents jaunes…

- Hein ? Insista le vieillard.

Au fond du palais, il y avait bien sa luette qui vibrait…

- Hein ? Reprit le vieillard, agacé de ne pas se faire comprendre.

L’homme a compris plus tard, quand il s’est retrouvé seul dans sa chambre. C’était tout au bout de sa luette qu’il lui fallait chercher sa clef. Il avait couru partout, il avait cherché jusqu’au sommet des montagnes… mais le maître des cieux l’avait cachée dans un lieu où l’homme ne va jamais, dans son âme, au fond de son cœur.

 

Quand il s’est tourné en lui-même, l’homme a trouvé une toute petite clef, qui ouvrait une porte étroite. Et quand il l’a ouverte, au lieu d’un arbre taillé en échelle comme il s’y attendait, c’est un ascenseur dans lequel il est monté. Il a dû se mettre à genoux pour appuyer sur le bouton le plus bas, celui où était écrit « Maître des cieux ». L’ascenseur, en montant s’est balancé, et l’homme s’est senti bercé aussi tendrement que sur les genoux d’une mère.

Et puis il a croqué un morceau de ciel, plus nourrissant que du lait maternel. Il s’est senti tout rapetissé. 

 

Mais il a kiffé et il est devenu accro. Et depuis, chaque matin, il retourne en lui-même ouvrir la porte étroite.  

 

Conte inspiré de plusieurs sources : Un "croqueur de ciel" entendu au café du Petit Ney + plagiat de "La petite clef du  paradis" de Saint Chamas + "L'empereur et l'orphelin"  d'un auteur inconnu (idée de la luette) ; et un passage d'"Histoire d’une âme" de la Petite Thérèse  (idée de l’ascensseur berceur) - Illustration : "Le pommier du paradis" de Dali trouvée sur http://caruanacharles.canalblog.com


30/05/2015
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