la-tartine-qui-conte

Faites silence, mon histoire commence.

Celle d’un pêcheur à la longue barbe brune. Avec sa femme, ils ont trois enfants. Et chaque jour, l'homme rapporte juste assez de poissons pour nourrir sa famille. Aussi a-t-il l’habitude de jeter son filet trois fois par jour, jamais plus, jamais moins.

Ce jour-là, il part en mer à l’heure la plus chaude du jour. Il jette son filet, et quand celui-ci repose au fond de l’eau, l'homme rassemble ses forces, il le hisse lentement, se réjouissant déjà de ce qu’il va trouver.

Il écarte les algues, et aperçoit… des chaussures, et un panier d’ordures.

-      Par l'Eternel, je n’ai pas fait tant d’effort en vain.

Il vide son filet, s'essuie le front et le jette à nouveau. Quand il repose au fond, le pêcheur redouble de force et de sueur pour soulever le filet. Quand il l’a enfin remonté, il en retire les algues et il trouve… une énorme jarre remplie de boue et de sable.

-      Par l'Eternel, je n’ai pas fait tant d’effort en vain.

Et il appelle le secours d'Allah, qui sait qu’il ne jette son filet que trois fois par jour.

Pour la troisième fois, il jette son filet. Et quand il le remonte à la surface, que trouve-t-il au milieu des algues ? Un grand vase en or jaune, plein et intact, dont l’embouchure est scellée avec du plomb. Elle porte l’empreinte d’un Seigneur.

A cette vue, le pêcheur se réjouit du prix qu’il va en tirer en le vendant au chaudronnier.

Il sort alors son couteau, le manipule… et parvient à créer une ouverture. Il en sort une fumée noire qui monte jusqu’au ciel.

L’immense fumée se condense, et forme un génie monstrueux, dont la tête ronde touche les nuages et les pieds traînent dans la poussière. Le monstre a les mains fourchues, les dents plus sales que la couche d’un porc, et ses yeux brillent comme deux torches sous ses cheveux ébouriffés et poudreux.

Le pêcheur est épouvanté. Ses muscles tremblent, ses dents se resserrent et claquent, sa salive sèche et ses yeux s’aveuglent à la lumière.

-      Laisse-moi t’annoncer une bonne nouvelle, grommelle le génie de sa voix grinçante.

-      La... laquelle, chuchote le pêcheur ?

-      Ta mort ! A cette heure même.

-      Pou… pourquoi ? Je t’ai dé... délivré du vase, bégaie-t-il.

-      Délivré ??!! Ah ha, ha.

La voix du génie résonne jusqu'au sommet de la voute céleste.

- Tu m’as fait attendre pendant trois siècles, quatre jours, treize heures quarante-huit et quatre secondes.

Et puis j’ai toujours refusé qu’on me donne des ordres, ce n’est pas toi qui va commencer ! C’est d’ailleurs pour ça qu’on m’a emprisonné dans ce vase.

Après cent ans d’emprisonnement, je disais dans mon cœur "J’accorderai trois vœux à celui qui me délivrera". Mais cent autres années passèrent et personne ne vint à ma rescousse. Après trois cents ans, j’étais encore prêt à couvrir d’or et de pierres précieuses celui qui me délivrerait. Mais personne.

Alors je me mis dans une effroyable colère et je criais en mon âme : "si quelqu’un vient, je le tuerai, et il pourra choisir de quelle mort il veut mourir".

C’est toi, pêcheur, qui vint me délivrer. Choisis donc ta mort et je t’exaucerai".

Abattu par son sort, le pêcheur cherche une réplique. 

-      Toi, énorme génie plus haut que les nuages, tu as logé tout entier dans ce tout petit vase ridicule ?! Ne me fais pas croire une telle salade. Tu n’es pas capable de te faire si petit !

Le génie, piqué au vif, s’agite. Il redevient une fumée qui monte jusqu’au firmament, se condense et se laisse aspirer par le vase de ses pieds raides jusqu’à ses cheveux ébouriffés.

Alors le pêcheur prend rapidement le couvercle,  le rebouche, et il jette le vase à la mer.

Et plus jamais il ne jeta son filet de ce côté de la mer.