la-tartine-qui-conte

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017. Le rat et la saucisse

Mon mari fait des rêves incroyables... et le matin, il me les raconte pour me consoler de ne pas rêver.

Mais à force de l’entendre, j'en suis devenue jalouse. Toutes ces choses qu’il vit sans moi... C’est insupportable.

Alors un soir, j’ai décidé de pénétrer dans un de ses rêves.

 

Sans titre.pngJe me suis blottie sur le rivage de sa paupière, à la lisière du songe, là où tout bascule, et j’ai attendu.

Deux fois, j’ai failli m’endormir, je retenais ma respiration, et puis bientôt j’ai perçu le brouillard des rêves s’installer. C’était maintenant ou jamais.

Alors je me suis faufilée en douce dans le cratère de sa paupière, et là…

 

 

…. Je me retrouve chez sa grand-mère, mais pas tout à fait dans sa maison… Non, je suis passée par le trou en bas du mur de la cuisine, un trou pas plus gros que mon poing (il faut croire que j'ai rétréci).

Me voilà dans une cave, face à une toute petite table couverte d'une minuscule nappe quadrillée de rouge et blanc.

Surprise par le parfum d’une cuisine savoureuse, je lève la tête, et là, j’aperçois, autour d’un chaudron fumant, une saucisse qui s’applique à la cuisson d’une ratatouille.

Elle touille herbes et laurier, tomates et carottes, elle les laisse mijoter, comme si elle voulait donner du goût à la vie.

Et puis, youmpt, glissant sur la cuiller en bois, la voilà à l’intérieur du chaudron. Alors elle se met à danser, dandinant son arrière-train en rond... en chantonnant un air de biguine.

 

 

Tout-à-coup, le rat, son mari surgit de nulle-part. Il revient d’une longue journée de travail, et il savoure la ratatouille avec appétit ; très étonné de trouver un tel parfum aux légumes. 

 

Et tous les jours que Dieu fait, le rat part travailler à la ville.

Et sans relâche, la saucisse épluche, coupe, cisaille les légumes, et puis elle glisse sur la cuiller en bois. Et le soir, son mari s’étonne de la saveur des plats de sa femme.
Le rat voudrait bien connaitre le secret de son épouse.

Un matin, au lieu de partir à la ville, il se cache derrière l'entrée de la cave, et il l'observe.

Et il voit la danse sensuelle de sa femme dans le chaudron.

- Demain, c’est moi qui cuisine, déclare le rat au repas du soir. Pendant ce temps, tu pourras faire du shopping à la ville.

La saucisse est ravie.

 

Et voilà notre rat tout appliqué à rassembler ses légumes dans le chaudron fumant : il les épluche, les coupe, les cisaille… et puis il se place sur la cuiller en bois, il glisse… et youmpt... 

... on entend un cri strident en si bémol, qui envahit toute la maison.

Le soir, quand la saucisse revient chez elle toute pimpante de ses achats, elle trouve son mari ébouillanté, mort dans le chaudron de légumes parfumés.

 

Je suis sortie discrètement des paupières de mon mari par là où j'étais entrée. Lui ronflait bien fort à mes côtés, et à son réveil, quand il m'a raconté son rêve de princesse aux cheveux d’or, je n’en ai pas cru un mot.

 

 
Conte entendu au Café du Petit Ney et introduction plagiée chez Pepito Mateo - Illustration de Michel Ocelot.


01/04/2016
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