034. La pêche aux mots
Quand j’étais petit déjà, on me mettait des mots dans le biberon. Nourrissants et savoureux, j’en avais plein la tétine. J’avalais tout d’une traite, sans mâcher mes mots. Chuchotés ou soufflés, balbutiés, bredouillés, j’en faisais une boulimie. Je m’souviens, j’ingurgitais les mots doux et les gros mots. Je déglutissais les mots d’ordre et les mots savants. Une véritable diarrhée verbale.
Et puis un jour, j’ai demandé
- Dis maman, d’où je viens ?
Silence
J’ai insisté.
- Maman, en un mot, dis-moi ?
Toujours rien, seulement un silence insupportable.
Alors l’enfant que j’étais s’est tu.
Chagrinée, la maison ce jour-là, n’a pas ouvert ses volets. Grimaçantes, les fleurs du jardin n’avaient plus de raison de s’ouvrir. Elles se sont renfrognées et elles ont baissé la tête. Etonné, le chemin a décidé de ne plus mener au jardin. Alors le soleil s’est dit :
- A quoi bon briller ?
Le ciel est devenu noir et la nuit a envahi le pays. Seule une étoile est restée accrochée.
Et l’étoile a glissé un rêve, un petit rêve de rien du tout jusqu’au cœur de l’enfant.
Alors l’enfant s’en est allé à la pêche aux mots.
Il a jeté son filet. Il a puisé, et de son filet sont tombées, légères, des paroles ensoleillés.
Il les a abritées sous une tente. Il y avait des mots pour habiller la tête : parapluie, imagination, couronne. Des mots qui couvrent le corps : poncho, pudeur et tunique. Sans oublier ceux pour les pieds : palmes, talon aiguille et huile de massage.
Plus tard, il a collé deux mots ensemble, en prenant bien soin de choisir des mots incollables. Et les mots se sont accouplés. Alors une histoire jaune et noire est sortie de sa chevelure bouclée et elle a dansé.
Une histoire ébouriffée était née.
Du silence était née une soif plus profonde qu’un puits.
Alors la maison a ouvert ses volets, les fleurs ont relevé la tête, le chemin a de nouveau mené au jardin, et le soleil s’est remis à briller. Et comme avant, les histoires ont fait naitre des rêves dans la tête des petits enfants.