023. Le vrai Tao
Un p'tit gars joue avec une balle contre un mur. Elle roule derrière lui, elle dévale la colline, accélère sur la pente, tombe d'un précipice, atterrit dans l'océan, nage de toutes ses forces... et se retrouve en Inde.
Auprès de Tao, dans une riche maison pleine d'ornements.
Tao est avare. Pas seulement radin, non, il ne se contente pas de cajoler son argent mignon…
Il est pingre, rat. Il rationne sa maisonnée et son entourage pour jouir seul de ses biens.
Par cette belle journée d’été, il part dans la forêt avec pour toute compagnie un âne chargé de victuailles. Là, ayant repéré un endroit tranquille, il s’installe, prend ses aises, et commence un plantureux repas. Il se goinfre de viandes, de riz au curry, de desserts. Il boit en abondance les vins les plus rares, les plus chers. Enfin repus, heureux, il déclame à l’adresse du ciel :
- Moi, Tao, grande est ma volupté. A mon gré, j’ai du vin, je surpasse tout homme et même les anges.
Or, ce jour-là, un ange l’entend par hasard.
Piqué au vif, il décide de le châtier.
Il prend la forme et le visage de Tao, et se présente dans sa demeure.
A peine entré, il ordonne que l’on ouvre les greniers et que l’on distribue le grain aux pauvres de la région. Quand il ne reste rien, il vide les coffres et disperse l’or, chacun en reçoit, du moindre serviteur au plus petit marmiton. Enfin, il fait mettre les tonneaux en perce, et le vin coule à flots. On l’entoure, on l’embrasse, on le fête.
On n’entend que rires et chants paillards...
... quand quelqu’un frappe vivement au portail.
- Holà, maudits fainéants, il n’y a donc personne pour m’ouvrir ?
Le gardien arrive, les jambes un peu flageolantes à cause du vin qu’il a bu.
- Hoc ! Qui êtes-vous mon hoc monsieur ? Articule-t-il comme il peut.
- Imbécile, c’est moi Tao, ton maître.
- Ce n’est pas po hoc ! possible… bafouille-t-il. Mon maître est ici, entrain de hoc ! boire avec nous.
Et il reprend sa place à table.
Fou furieux, Tao se met à frapper au portail, hurlant, et il fait un tel vacarme qu’on finit par lui ouvrir.
Les deux Tao se trouvent face à face.
Qui est le vrai ? Mêmes yeux noirs et malins, même double-menton et ventre rebondi.
Chacun donne son avis. Les serviteurs et les enfants penchent pour l’ange.
L’épouse, elle, hésite : elle aurait bien choisi Tao aimable et généreux, mais l’autre lui parle à l’oreille d’un certain grain de beauté qu’elle a sur le sein gauche, et elle est troublée.
Elle prend une décision :
- Demandons à Dieu, lui seul voit le secret des cœurs au-delà des apparences. Il nous éclairera.
Dieu reçoit les deux Tao dans sa demeure du ciel.
- Le vrai Tao, dit-il, est celui qui pratique la justice et la bonté. Il manifeste de la compassion envers toute créature.
L’ange, à l’instant même, reprend sa forme d’ange.
Et Tao le pingre se découvre seul.
Son mépris des autres n’est-il qu’un masque qui cache son vrai visage ?
Lui, Tao, participe à la nature divine, c’est là sa nudité, sa simple vérité.