50. Les cruches bien-aimées du roi
Les cruches bien-aimées du potier
Prête l oreille, petit d'homme, je vais te dévoiler le secret du potier. Secret qu'il ne peut plus cacher.
Un jeune prince avait pour passion la poterie. Il aimait sentir la terre humide prendre forme entre ses mains charnues. Agréable et charnel à la fois, sensuel et musclé, cet art l'invitait à mettre toute sa force dans le pétrissage de la terre.
L’œuvre dont il était le plus fier, c'étaient ses trois cruches... Trois simples cruches en argile. oh elles ne payaient pas de mine. Pourtant, il avait mis tant de lui-même en chacune d'elles qu'il les regardait en rougissant d'émotion.
Sept ans passèrent, notre prince potier est sacré roi. Il confie ses cruches à ses ministres.
La première revient à son jardinier.
Celui-ci trébuche sur son râteau, et la cruche se brise.
- Regarde à quoi je ressemble maintenant, s'insurge-t-elle contre son roi. Moi qui arrosait chaque arbre avec affection, je n'en suis plus digne. Fêlée de toute part, je ne sers plus à rien.
Tu m'as délaissée, oh roi dur et intransigeant.
Cache-moi.
- Comme j'aimerais te voir encore déployer ton talent, belle cruche.
N'oublie pas que c'est moi qui t'ai formée. Je connais tout de toi, tes plaies et tes lâchetés, même la plus petite craquelure sous ton anse, elle que toi-même tu ignores encore. C'est bien comme cela que je t'aime pourtant.
N'attends pas d'être parfaite pour te donner, sinon tu ne te donneras jamais.
- Cache-moi, j'te dis. J'ai honte.
Et par respect pour elle, le roi, triste, obéit à la cruche. Il l'enterre à l'endroit même où elle s'est cassée, à l'entrée de son jardin, près du puits.
Alors comme la cruche n'arrose plus le verger du roi, il se dessèche.
Cette année-là, son oranger ne donne aucun fruit.
La deuxième cruche, le roi la confie à son ministre de la solidarité.
Celui-ci, préoccupé par tant de dossiers, trébuche sur l'un d'eux, et la cruche se brise.
- Quelle déchéance, se plaint-elle à son roi. Si je continue de porter à boire à ton voisin l'aveugle, que restera-t-il en moi ? J'aurai l'air ridicule avec les quelques gouttes qui survivront peut-être. Moi qu'on a toujours admirée pour ma bienveillance, je risque ma réputation.
Le roi reste silencieux.
- Et alors ?! Se ravise-t-elle. Au diable le qu'en dira-t-on. Fichtre ma fatigue. Tant bien que mal, je vais me redonner à la tâche.
Oh roi bon et exigeant
Remplis-moi.
Et le roi obéit à la cruche.
Il la remplit avec abondance de l'eau du puits jusqu'à ce qu'elle déborde.
La cruche reprend le chemin qui la sépare de l'aveugle. Arrivée à bon port, il reste bien au pauvre homme quelques gorgées à boire, mais la cruche s'assombrit de ne plus pouvoir l'abreuver à satiété.
Et pourtant, après trois ans de courageux aller-retours, le sourire de l'aveugle commence à creuser dans ses rides.
- A moi, lui dit-il, tu as montré le chemin qui mène à la source. Regarde, il est maintenant parsemé d'un tapis de coquelicots et capucines. Leur parfum suave me guide jusqu'à ton puits. Sans tes fêlures, je dépendrais encore de toi, petite cruche. Mais tu ne m'a pas donné tout ce dont j'avais besoin. Alors j'ai cherché. Bienheureuses tes craquelures qui laissent passer l'eau et la lumière, elles éclairent ma nuit.
La cruche court vite raconter son aventure au roi.
- Désormais, tu iras donner à boire à mes amis les troubadours, eux qui vivent derrière Mon verger.
Si bien qu'au passage de la cruche fêlée, l'oranger reprend sa vigueur. Et bientôt une orange commence à germer.
Et la troisième cruche alors ? Qu'est-il advenu d'elle ? Le roi l'a confie à son cuisinier.
Celui-ci trébuche sur son rouleau à pâtisserie, et la cruche se brise.
- J'ai honte, renchérit la cruche. Moi non plus je ne suis plus bonne à rien, même pas à accomplir la tâche pour laquelle j'étais assignée : ton ablution, oh roi, avant le repas.
Silence du roi.
- Ah, si je pouvais poursuivre ma destinée ? Se ravise-t-elle. Je rêve de l'accomplir avec encore plus de soin et d'attention.
Oh roi doux et tendre de cœur
Guéris-moi.
Et le roi obéit à la cruche.
Il ramasse les morceaux d'argile et reetourne dans un lieux qu'il avait oublié depuis longtemps, san atelier de potier. Emu, il comence à sortir son tour de potier pour pétrir l'argile en lui chuchotant
- Voici à quel point je t'aime.
- Jusque dans mes blessures ? Ce n'est pas possible.
- Tu ne me crois pas ? Questionne le roi ?
Alors il se ravise.
Il va chercher son trésor le plus précieux, le lingot qu'il destinait à l'héritage de son propre fils. Et au lieu d'effacer les fêlures de sa cruche défigurée. avec un discret argile, il fait fondre son or, et il panse chaque craquelure d'un pansement en or fondu.
Il y met tant de soin qu'elle en ressort toute resplendissante.
- Tes cicatrices rayonnent désormais, lui dit le roi. Tu as su bénéficier de ton épreuve, et voilà que je te rends digne, toi mon œuvre. Maintenant, au lieu de servir à l'ablution de mes repas, je te donne au grand prêtre.
Et le roi remplit en abondance sa cruche de sorte qu'elle déborde.
- Désormais, tu béniras mon peuple, lui dit-il.
Couverte d'honneur, la cruche est fière de mettre toute son ardeur à sa nouvelle mission : au temple, elle restaure et purifie le peuple de son roi avec fougue.
Au risquer de renverser de l'eau, voir même de se briser.