018. Terminus ou correspondance
Peu après jadis, bien avant maintenant, quand hier était demain et aujourd'hui encore à naître, je fus témoin d'un débat peu commun.
Confortablement installés dans leur placenta douillet, deux fœtus délibéraient :
- Et toi, tu y crois à la vie après l'accouchement ?
- Bien sûr, après l'accouchement, la vie continue, même si elle est bien différente de ce que nous connaissons.
Prends des forces l’ami. Ici, la vie est cool peinard. C’est pour nous préparer à ce qui nous attend après.
- C'est insensé. Tu divagues mon pauvre ! Tout s'arrête après l'accouchement, c’est le terminus je te dis. Nous avons notre cordon ombilical et c'est ça qui nous nourrit, comment veux-tu qu'il en soit autrement ?
- Eh bien, j’imagine qu’on prend une correspondance pour un pays plein de lumière, où on apprendra à rire. Et si j’ai bien compris, là-bas, on va manger avec notre bouche.
- Et comment voudrais-tu que nous quittions ce confort ? Vois comme on y est bien ici, portés par les eaux, voguant au gré de l'apesanteur.
- A ce qu'il parait, là-bas, on devient des géants. Certains chaussent du 45 et ils marchent.
- Mais c'est du n'importe quoi ! D'ailleurs, de cette autre vie, aucun revenant n'a pu en témoigner. Tu crois à ces sornettes parce que t'as besoin d'espérer, mais regarde la réalité en face. C'est simplement impossible.
- D'accord, je n’ai aucune preuve. Et je ne sais pas exactement à quoi cette vie ressemble. En tous les cas, j’y crois. Oui, nous verrons notre maman et elle prendra soin de nous.
- Maman ? Tu crois en Maman !? En voilà une belle… Et où se trouve-t-elle ?
- Mais elle est partout ! Elle est autour de nous ! Grâce à elle nous vivons et sans elle nous ne sommes rien. Elle veille sur nous à chaque instant.
- C'est absurde ! Tu l'as déjà vue toi !? Moi non. C'est donc évident qu'elle n'existe pas. Et puis, si elle existait vraiment, pourquoi ne se manifeste-t-elle pas ?
- Hé bien, je ne suis pas d'accord. Parfois, quand tout devient calme, on peut entendre quand elle chante, sentir quand elle caresse le monde… je suis certain que notre vraie vie ne commence qu'après l'accouchement.
- Moi, je suis surtout convaincu que tu es fou. Et d’abord, comment veux-tu que nous sortions d’ici ?
- Ah, si je savais ? J’ai entendu dire que les cocons passaient par une ouverture minuscule, aussi grosse qu’un grain de sel, alors pourquoi pas nous ?
L’autre fœtus éclate de rire.
- Comment veux-tu qu’un papillon passe par un si petit trou ?
Autant faire passer un dromadaire par le chat d’une aiguille !
- C’est sûr, vu comme ça… Mais pourquoi ne pas croire aux miracles ? Et puis au fait, comment connais-tu ces bêtes-là toi ?
- J’en ai rêvé.